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Raymond Virac
27 février 2010

21 Madagascar : entretien avec Raymond Virac

LE MADÉCASSE : vendredi 11 décembre 1936

Le Madécasse, journal trihebdomadaire illustré malgache, a réalisé un long entretien avec Raymond Virac au retour de son périple à travers l’île et avant l’exposition qu’il va proposer à Tananarive.

En voici la retranscription qui témoigne de la révélation que fut la terre de Madagascar pour le peintre, dés les premiers moments passés sur l’île, et annonce le lien profond qui les unira jusqu’à sa mort, 10 ans plus tard, à Tamatave.

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Races et travaux du Sud, avec Raymond  VIRAC

« Trois mois moins une semaine exactement. Mais ce n’est pas trois mois. C’est six mois, un an qu’il faut vivre pour connaitre ce merveilleux sud d’où je reviens, hélas beaucoup trop vite. »

Mais de ces trois mois de voyage, Raymond VIRAC  a rapporté une extraordinaire moisson de dessins et de peintures.

Surtout des portraits d’hommes et de femmes, fiers, farouches, celui-ci au visage dur cet autre au contraire nostalgique, celle-ci mélancolique, celle-là sensuelle. Dans tous ces visages ressuscités sur le papier, VIRAC a recréé toute une sensibilité, l’âme revivant sur le papier immobile.

« Pour un peu, je les laissais sur le chemin du retour, chez tous ceux qui les voyaient et qui voulaient les garder. Je ne pourrai satisfaire tout le monde que si le projet que j’ai en tête aboutit. En faire un album en  trichromie de 40 à 50 planches format 40 x 50, que j’appellerai : « Races de Madagascar ». Ce serait, je crois, un travail très utile car il n’existe pas de recueil de ce genre. »

« Par tous les traits que j’ai pu fixer et que vous avez vus, par toutes les observations que j’ai faites pendant mon voyage, il est facile de se rendre compte que ce n’est pas là une race africaine mais des types venus de la Malaisie et de l’Océanie. Avec le Père Priolet, je suis convaincu que ces hommes sont venus par mer de l’Inde et des îles malaises et polynésiennes. »

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Raymond Virac
Maremana
Danseur Bara
Ivohibé

« À ce propos, j’ai fait des observations curieuses sur le passage des français à Fort Dauphin. J’ai rencontré chez les Tanosy d’authentiques types bretons aux yeux bleus. Dans plusieurs villages, ils vénèrent encore des tombeaux de femmes blanches : leurs ancêtres, répondaient-ils au chef de district, M. Robin, avec qui je voyageais. Ce sont évidemment les tombeaux de ceux qui s’étaient installés Fort Dauphin depuis Flacourt et même avant. »

Sérénité :

« Malgré nos efforts, dans quelle belle indifférence sociale vivent tous ces hommes ! À tel point que leur vie nous prend tout à fait. Au début, vous leur faites peur, mais quand la glace est rompue, leur spontanéité vous enchante. Et on se demande, à se retrouver dans toutes les querelles de la ville, si cette indifférence n’est pas la plus raisonnable… »

« Pour parler tourisme, je crois qu’il y a quelque chose à faire dans ce sens. Les nuits ont une splendeur inimaginable. Je me souviens, avec une netteté particulière, des très belles danses d’Ampanihy. Dans le clair de lune, le jacassement des cases, le tam-tam et les danses créent une atmosphère d’un charme extraordinaire. Je revivais tout à coup l’émotion passionnée dans laquelle me jetaient mes livres d’enfant au récit des voyages et des explorations aux pays perdus, dans des contrées fabuleuses que je ne situais même pas tant elles étaient lointaines. Images fugitives, car il faut des mois pour bien connaître toute cette vie prenante… »

Le charme de Madagascar : quelle impression vous a fait  dans l’ensemble Madagascar ?

« Quelles impressions, vous voulez dire ? J’y ai trouvé des pays profondément différents les uns des autres. Mutsamudu et Nosy-bé ont tout le charme des paysages tahitiens. Quelle différence entre la brousse tropicale du nord et de l’est et la brousse brûlée du sud ! Fianarantsoa m’a fait la même impression que Bagnères-de-Bigorre. Tananarive ressemble encore plus à une ville de France sillonnée par des hirondelles blanches. À ce propos comme j’engage les Malgaches à ne pas chercher une imitation des Européens, à rester eux-mêmes, à conserver leur originalité propre comme chaque race possède la sienne dans le monde. Comme je le disais à mes élèves, ils ne créeront quelque chose que grâce à leur sensibilité propre, tellement différente de la nôtre, nous qui avons un rapport séculaire dans chaque domaine de notre activité artistique. »

L’artisanat malgache : il faut le décentraliser.

« Cet artisanat, je pense qu’il ne suffit pas de l’aider à Tananarive. Il faudrait procéder à une décentralisation résolue pour ne pas laisser perdre par exemple les statuettes du sculpteur de Ihosy qui va mourir sans élèves. La sculpture sur bois a cependant de larges possibilités. Et je citerai aussi les tapis de haute laine, pour lequel on développe l’élevage de la chèvre mohair. Il serait facile de créer  des centres où l’on travaillerait cette laine. Le coût des métiers serait peu élevé… »

El Dorado : que rapportez-vous d’autre de votre voyage dans le sud ?

« Que n’ai-je pas rapporté, vous voulez dire ! Ce pays est beaucoup plus riche qu’on ne croit. J’ai vu à Ampahiny des femmes portant des paniers pleins de grenats ramassés dans le lit des rivières et payés un franc les vingt kilos. J’ai visité les « toby » (les campements) où on exploite un mica de toute beauté dont on fait aujourd’hui des bougies pour avion. Et le charbon de la région de Sakoa, qu’on peut enlever comme en Indochine par le haut, région où je pense on ne peut tarder à construire un chemin de fer. »

« Pour l’agriculture, c’est la même chose. J’ai vu, sur cette terre qui parait ingrate des cultures remarquables. À 60 kilomètres de Betroka … 600 hectares de rizières ont été créés, irrigués par une digue de 4 kilomètres… »

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Raymond Virac
Kasambo
Danseur Antatsimo

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